Le CNPMEM est inquiet que l’Europe s’inquiète de la situation de l’anguille à sa manière
Alors que les pêcheurs français ont respecté les objectifs qui leur avaient été fixés par le plan de gestion, la Commission Européenne envisage le fermeture de toute pêche de l’anguille en Europe. Face à cette incompréhension, le CNPMEM souhaite rappeler quelques points d’étape.
Des professionnels acteurs exemplaires du plan de gestion
Les annonces et demandes de la Commission Européenne (CE) ont eu l’effet d’une bombe pour les pêcheurs professionnels de civelle, d’anguille jaune et d’anguille argentée de toute l’Europe. L’Europe a décidé de passer à la vitesse supérieure en 1) proposant un moratoire dès 2018 pour les pêcheries professionnelles et récréatives de la mer baltique ; 2) en sollicitant les conseils consultatifs (CC) pour étendre ce moratoire aux autres zones géographique de l’Europe ; 3) en expliquant aux parlementaires européens que la situation était tellement alarmante qu’on ne pouvait pas prendre le temps de réaliser un bilan des actions mises en œuvre.
La première étape de ce calendrier précipité n’a pas permis à la profession de se faire une idée beaucoup plus précise des orientations pour 2018. En effet, d’un part, le Conseil statuant sur les possibilités de pêche en mer Baltique, réuni à Luxembourg le 9 octobre, a repoussé la proposition moratoire en mer Baltique pour qu’une approche globale soit privilégiée. La CE est invitée à faire des propositions pour le Conseil TAC et Quotas de décembre. D’autre part, les spécificités régionales et les efforts réalisés dans les plans de gestion devraient être pris en compte. Si ses efforts doivent légitiment être pris en compte, la profession française sera en position de force puisqu’elle a atteint voire dépassé ses objectifs de réduction de la mortalité par pêche dès 2015. La profession a consenti des efforts très importants pour viser une réduction de la mortalité par pêche de 60%. A l’heure du dernier bilan, la pêche professionnelle était le seul acteur socio-économique à atteindre ses objectifs. Au moment de préparer le prochain bilan, rien ne laisse présager que le constat sera différent en juin 2018.
Pour justifier son approche, la CE se base sur le dernier avis du CIEM qui indique que toutes les mortalités devraient être aussi proches que possible de zéro. Une approche de précaution qui, par manque de connaissance sur l’espèce, est recommandée depuis 10 ans. Toutefois, même si la population d’anguille nécessite une attention particulière, en sortant de cette approche de précaution, on peut noter que les indices de recrutement civelle du CIEM ont augmenté. D’ailleurs à titre d’exemple révélateur, c’est par l’intermédiaire de cette hausse de recrutement, que les scientifiques français siégeant au CIEM avaient proposé, en France, des possibilités de pêche de civelle supérieures par rapport à leur avis précédent. Malgré cette possibilité de voir les quotas augmenter, les professionnels ont préféré proposer une situation de maintien. Un nouvel exemple de leur approche responsable qui devra peser au moment des décisions du mois de décembre.
Incompréhensions et inquiétudes à toutes les échelles
A ce jour, aucun bilan européen n’a été dressé et le dernier rapportage des PGA est prévu en juin 2018. Aucun motif ne justifie de bouleverser ce calendrier surtout que, sans ce rapportage, impossible de savoir quel acteur socioéconomique a répondu à ses engagements. Les Conseils Consultatifs (CC) ont été saisis dans un temps record, en plein été, sur un sujet qu’ils n’avaient pas l’habitude de traiter. Dans certains CC, des positions ont été adoptées faute de réponse des participants. Compte tenu des règles de fonctionnement des CC, certains avis exprimés majoritaires n’ont donc pas été retenus.
Sur le fond, la liste est longue et loin d’être exhaustive pour combattre cette volonté de moratoire et une gestion de l’espèce basée uniquement sur la pêche :
- En plus de la pêche professionnelle, les facteurs de mortalités anthropiques sont nombreux: pêche récréative, braconnage, turbine hydroéléctrique, barrage, station de pompage, pollution, espèces invasives, artificialisation des cours d’eau, perte d’habitats, maladies et parasites, réduction des zones humides… Un moratoire sur la pêche n’améliorera pas la situation de l’anguille. Au contraire, la pression pour réduire la mortalité issue d’autres sources de mortalité diminuera puisque les pêcheurs jouent un rôle essentiel de veille environnementale. Le Règlement CE n°1100/2007 dit Règlement Anguille prévoit cette approche équilibrée et la CE a elle-même rappelé qu’ « il convient d’accorder plus d’attention aux mesures de gestion liées à ces facteurs de mortalité anthropique non liés à la pêche, qui dans leur majorité n’ont que partiellement été mises en œuvre par les États membres. » ;
- Les pêcheurs professionnels français ont atteint leurs objectifs de réduction de mortalité par pêche avec plus de 60% de réduction par rapport à la période de référence ;
- La profession est un acteur crédible qui contribue à renforcer la traçabilité et le suivi de la pêche (contingent de licence, développement d’outils de télédéclaration, diffusion des listes de titulaires de la licence aux organismes de contrôle…) ;
- Les pêcheurs vont au-delà de leurs objectifs en étant un maillon indispensable du repeuplement. En activant des zones favorables aux sources de mortalité réduites, l’objectif est de créer un bénéfice par rapport à la colonisation naturelle de l’espèce. Pour améliorer l’efficacité du repeuplement et la qualité des alevins, les pêcheurs professionnels ont développé un guide de bonnes pratiques ;
- Les professionnels sont également un maillon indispensable du relâché d’anguilles argentées qui permettent aux scientifiques d’améliorer les connaissances sur la migration vers la mer des Sargasses;
- Par leur connaissance sur l’espèce et leur présence au quotidien sur le terrain pendant la saison de pêche, les pêcheurs apportent aux scientifiques leur expertise et des données essentielles pour améliorer la connaissance sur l’espèce et le suivi du recrutement ;
- Le moratoire est une idée contreproductive qui développerait les filières parallèles et le braconnage, en particulier sur la civelle ;
- Selon le CIEM, les indices de recrutement de civelle ont augmenté par rapport à la période de référence ;
- La pêche de l’anguille et de la civelle représente plus de 850 entreprises, en France. Autant d’entreprise qui, compte tenu de la caractéristique des navires, risqueraient de se reporter vers d’autres ressources comme la sole ou le bar. Vu le contexte sur ces espèces il est illusoire de croire que cette solution est envisageable.
En conséquence, tant qu’un bilan européen sur les plans de gestion nationaux ne sera pas dressé, le CNPMEM refusera d’envisager la moindre restriction supplémentaire sur la pêche professionnelle. Il est indispensable de mettre à plat les objectifs fixés par chaque Etat Membre et le niveau d’atteinte de ces objectifs par chaque acteur socioéconomique. Les professionnels ne peuvent pas payer le prix du manque d’investissement pour réduire les autres facteurs de mortalité. Enfin, dans la mesure où tout ce qui est interdit a un prix, la fermeture d’une pêche légale parfaitement encadrée et inscrite au titre d’un développement durable engendra la mise en place de réseaux clandestins. Le CNPMEM tient à rappeler qu’il s’est d’ailleurs porté partie civile dans plusieurs procédures qui seront prochainement audiencées.